En élagage, un accident est une succession de négligences

Venant d’être moi même victime d’un accident d’élagage qui m’a conduit à une ITT d’un mois, j’ai ressenti le besoin de mettre ici mes réflexions sur ce qu’il s’est passé avec comme particularité le fait d’avoir été assureur des risques professionnels dans une Mutuelle Française et membre de son Comité d’Hygiène et de Sécurité de 1999 à 2004.

En assurance, un accident détermine un fait non prévisible et inattendu. Dans le langage courant, cela signifie surtout qu’il y a eu un (gros) problème…

UN accident… Des responsables !

Déjà à l’époque, nous parlions dans le métier d’assureur de « l’américanisation de la société française ». Cela en référence au fait qu’aux États Unis les procès pour tout et n’importe quoi pleuvaient chaque jour. Jusqu’au point ou une mère a même tenté de faire un procès à une banque de sperme parce que son enfant n’avait pas la bonne couleur de peau… (source).

Cette évolution a progressivement déteinte en France et s’est insidieusement transformée par une lubie systémique de mettre de la responsabilité de partout et tout le temps. Dans l’univers des assurances (et de la MSA !!!) l’improbable n’existe plus… C’est forcément la faute de quelqu’un et non plus quelque chose.

Alors je sais qu’ici nous allons parler d’accident d’élagage, mais il me semblait plus que nécessaire d’apporter ces quelques éléments factuels : Une négligence se constate, une erreur s’assume, un accident s’assure .

Erreur ou négligence ?

Dans notre domaine de compétences, l’erreur est une faute qui relève d’un non respect d’une consigne, d’un mode d’emploi ou d’une directive. Elle sous entend un caractère intentionnel. (fait aggravant)
Expression : »Vous avez commis une erreur… , commettre un crime, une infraction… »

La négligence est un manquement, elle révèle d’un oublis ou d’une mauvaise manipulation. Elle sous entend un caractère non volontaire. (fait atténuant)
Expression: « Vous avez fait preuve de négligence… , faire preuve de courage ou de lâcheté… »

Si vous ne saisissez pas cette différence étymologique, dites vous que si l’on peut juridiquement vous reprocher de ne pas avoir mis en œuvre une technique propre au cas rencontré, en revanche il sera beaucoup plus difficile de le faire sur une mauvaise application de celle ci. La formation étant dans l’élagage une des 3 composantes qui caractérise notre métier (arrêté du 4 aout 2005), la négligence est beaucoup moins lourde en terme de responsabilité pénale que l’erreur même si sur le fond, l’accident a bel et bien eu lieu.

L’accident est donc le plus souvent une conséquence des 2 qu’il appartient aux avocats devant les tribunaux de maximiser ou minimiser.

L’arbre des causes

Causes… Effets… Conséquences !

Un arbre des causes permet de reconstituer la scène d’un accident en la découpant sous forme d’arborescence afin d’isoler les éléments entre eux et du coup disposer d’une vision empirique de l’événement.

Il y a 2 méthodes (entrées) :

  • Le préventif, dit « à priori » : L’accident n’a pas eu lieu, on parle alors d’un outil pour co-construire le plan de prévention des risques professionnels (DUEREP) qui est obligatoire dans les métiers de l’arbre et du paysage.
  • Le curatif, dit « à posteriori » : L’accident a eu lieu, on parle alors d’un support d’observation et d’analyse des faits dans le but de déterminer une ou plusieurs responsabilités (personne physique ou morale)

Sur la forme, il peut avoir plusieurs rendus comme un mur de post it, un schéma sur un paper-board ou une carte heuristique en ligne pour les plus connectés.

Exemple : Réaliser un arbre des causes

Bien qu’elles concernent tout le monde, ces méthodes sont aujourd’hui principalement utilisées par les inspecteurs du travail et les comités d’hygiène des entreprises.

Les règles de bases sont :

  • L’arbre des causes n’est pas une fin mais un moyen. C’est-à-dire que connaître les causes n’a d’intérêts que si des actions préventives sont mises en place.
  • L’arbre des causes est un complément de méthodes d’analyse a priori en les enrichissant de faits réels.
  • Le but de l’arbre des causes n’est pas d’expliquer complètement l’accident mais de trouver les facteurs sur lesquels il faut agir pour que l’accident ne se reproduise plus.
  • C’est un travail collectif. Toutes les informations possibles doivent être collectées.

(source)

Construire un raisonnement

Les faits

  • Volontaires : qui charge
  • Involontaires : qui décharge
  • Inexplicables : qui défausse

Le contexte

  • Le moment de la journée début/fin
  • Les soucis et problèmes personnels/professionnels
  • L’état de santé général/particulier
  • La condition physique/mentale
  • etc.

Les circonstances

  • Factuelle
  • Atténuantes
  • Aggravantes

Retour d’expériences personnelles…

2 Accidents identiques à 3 semaines d’intervalles

Cela devait arriver un jour ou l’autre, c’est bien d’avoir la théorie (la rhétorique pour le coup) mais c’est malheureusement plus parlant de le vivre.

1er accident

  • Le job : démontage d’un Cèdre pour cause de création d’un projet paysager dans un jardin de particulier
  • La contrainte : aller chercher les bout de branches côté fil électriques et téléphonique avant l’abattage par démontage des charpentières et du fut
  • La « connerie » : il faut toujours faire un trait de scie sous la branche avant d’entamer la coupe par le haut, et ce afin d’éviter la déchirure de l’écorce jusqu’au tronc > je l’ai fait sur les branches basses mais pas sur une grosse charpentière qui au lieu de tomber à plat se déchire au talon et revient au tronc pour finalement descendre en se tapant violemment sur le haut de mon pied planté sur griffe.
  • Le résultat : pas cassé mais 1 semaine d’ITT

A la visite médicale avant reprise on me propose de prolonger mon arrêt d’1 semaine pour que la douleur disparaisse complètement, mais non Monsieur… Moi j’aime mon job, Moi j’ai jamais mal, Moi j’suis un bonhomme ! Du coup me revoilà parti vers d’autres houppiers.

2ème accident 1 semaine après la reprise du 1er

  • Le job : couper une grande charpentière d’érable qui penche au dessus d’une rivière et d’une déchèterie
  • La contrainte : un talus forestier très incliné qui empêche de faire le tour de l’arbre – pas de rétention nécessaire
  • La « sur-connerie » : a partir de 10 mètres, l’inertie d’une branche n’est pas la même qu’au sol, quand elle part mais que rencontrant un obstacle elle revient au tronc, le positionnement devient le plus important…
  • Le résultat : fracture d’un os sur le haut du pied et 1 mois d’ITT avec plâtre et béquilles

Mon arbre des causes

Conséquences

Pour l’entreprise

  • Obligé de rappeler tous les clients pour reporter les chantiers planifiés
  • Perturbe la formation de l’apprenti (temps limité en entreprise)
  • Oblige le responsable et les équipes à ré-organiser leurs planning
  • Augmente la charge de la gestion administrative

Pour les clients…

  • Annulation de rdv, de RTT, de jour de congé…
  • Décalage de travaux car conditionnés par la taille ou l’abattage d’un arbre
  • Délais d’attente augmentés pour obtenir un rdv

Pour moi

  • La douleur physique (il n’y a pas beaucoup de peau sur le haut d’un pied… mais il y a des bien des nerfs)
  • La douleur morale (dans ce type de job le doute n’est pas le meilleur allier)
  • Des coups/pertes financières directes et indirectes même si en accident de travail le salaire est pris en charge à 100%… je rappelle que je suis sous le régime agricole… la MSA… tout ça…
  • Va me faire passer de la fin d’été à l’hiver sans monter progressive de ma condition physique. Il faudra donc être plus vigilant et m’obligera à d’avantage m’échauffer avant de démmarer les chantiers

Ma conclusion

Lorsque j’ai passé mon CS Arboriste Grimpeur nous réalisions un chantier de taille dans un arbre avec nos formateurs. Ce jour la il pleuvait un déluge et le froid des causses dans les gorges du Tarn nous bouffait les doigts mais nous étions là pour apprendre aussi la pénibilité du métier. Juste avant la pause de midi alors que j’étais le dernier à être perché dans l’arbre m’est venue l’envie soudaine de penduler d’une charpentière à une autre. Non, je ne l’avais personnellement encore jamais fait, mais tellement vu dans les vidéo Youtube des élagueurs, les pros… c’était mon heure ! Oui, sauf qu’au moment de m’envoler, un chicot a retenu le brin dormant de ma corde et m’a fait me retourner dos au tronc (c’est pas bien) avec comme effet immédiat de me faire resserrer avec ma main la chicane de mon ZigZag… les élagueur voient de quoi je parle. Du coup, 6/7 mètre de descente à pic droit sur le sol avec soudain un atterrissage en douceur sur mes 2 pieds, je venais de lâcher ma main de la corde.

« Il est mort ! », voila la seule phrase que j’ai entendu dans la bouche de mes collègues. Et pourtant non, j’étais bien vivant et en un seul morceau. Nous avons donc été déjeuner au sec puis sommes revenu en tout début d’après midi pour finir le chantier. Avec beaucoup de bienveillance mes formateurs m’ont proposé de rester dans le camion au sec et arrêter la grimpe jusqu’au lendemain. Oui mais non, je savais que si je ne remontais pas tout de suite dans l’arbre, mon cerveau allait gamberger dans le mauvais sens et que je risquais de ne plus vouloir grimper. J’ai donc renfilé le baudard pour aller faire quelques déplacements dans le houppier puis redescendu au bout d’une heure pour accepter la proposition du camion.

Ce jour là, je continue d’en être persuadé, j’ai pris la bonne décision car il ne s’agissait pas d’une négligence ou d’une erreur technique mais d’un aléa du à l’environnement spécifique d’un arbre. Les EPI avaient fonctionné, mon geste n’était pas le fait d’une erreur technique, il n’y avait ni blessé ni bris de bien. Je devais donc « juste » rapidement retrouver, tel un désarçonné de cheval, la sensation de la grimpe sans une remise en cause philosophique.

En revanche, et la ou j’ai commis mon erreur (j’assume), c’est que pour l’accident qui m’a conduit au plâtre de la jambe gauche, il s’agissait plus vraisemblablement d’un défaut de positionnement et d’un manque d’anticipation d’une charge au moment ou la sève est dite « redescendante » (variation de la mécanique du bois). Dans ce cas présent, la bonne réaction aurait été, je le pense, de prendre 30 mn de plus si besoin pour vérifier mon positionnement de jambe sur griffes avant d’effectuer la coupe et de demander à mon homme de pied son avis avec la vue d’ensemble.

Je pense pour conclure que j’ai pour le coup confondu « Orgueil de grimpeur qui n’a jamais peur… » avec « sagesse d’arboriste qui veut que ce soit par les expériences bonnes comme mauvaises que l’on apprenne son métier. »

Prendre le temps pour en gagner.

En parler

Lorsque l’on a été victime d’un accident il est nécessaire de pouvoir en parler avec d’autres professionnels (différent de la famille et des amis). Il ne s’agit pas de juger ou de culpabiliser, mais de comprendre les faits pour qu’ils ne se reproduisent plus.

Un groupe FB dédié a même récemment été créé pour cela : Accidents en élagage: témoignages et prévention

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Image d’illustration de l’article : Ouest France

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